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Histoire courte et violente écrite un 11 septembre, deux années après
le fameux attentat du 11 septembre 2001, en commémoration de cet événement. Dans
cette fiction ce sont les tours jumelles de Casablanca qui
s'éffondrent. Le texte épingle au passage la société de consommation et
les "m'as-tu-vu"
Félicitations, vous avez gagné !
J'essayais de me frayer un chemin au milieu de cette foule de casablancais
qui, ce samedi après-midi, déambulaient stupidement devant les magasins. Je
n'aime pas la foule et j'aime encore moins ce lieu, le Twin-Center, symbole même
de la société de consommation et du capitalisme marocain. Les passants font du
"choufing", de l'expression marocaine "choufouni", regardez-moi. Ce qui compte,
ce n'est pas ce que je suis ni ce que je pense, mais comment j'apparais. Les
femmes rivalisaient de bijoux et de vêtements à la mode. Les hommes portaient à
leur ceinture ou autour de leur cou, comme une laisse, des téléphones portables
dernier cri. De temps à autre, l'un de ces mordus du GSM commençait à répondre
au téléphone avec son kit main libre en gesticulant et criant très fort pour
qu'on le regarde.
Ce qui accentua davantage mon sentiment de honte, en plus d'être là, c'est le
motif de mon déplacement à cet endroit qui ne me ressemble guère. La veille
j'avais vu dans le journal une publicité d'un concours pour gagner un téléphone
portable nec plus ultra en plus d'un cadeau surprise. J'avais appelé de suite le
numéro indiqué dans l'annonce et, après plusieurs essais infructueux, j'avais
réussi enfin à avoir quelqu'un au bout du fil. Ce fût une dame à la voix très
sensuelle qui m'expliquait les règles du jeu. Il fallait répondre à trois
questions pour gagner le gros lot. Mais avant cela, elle me vanta longuement les
mérites d'un produit que leur société commercialisait. Je ne me rappelle même
plus le nom du produit tellement il ne m'intéressait pas. C'était une marque de
lessive dont je n'avais jamais entendu parler.
Après l'épreuve d'écouter sagement le discours commercial ennuyeux, on en
venait finalement à l'essentiel. Comme je l'avais plus ou moins deviné, les
questions étaient conçues pour ou par des attardés mentaux caractérisés. Les
deux premiers tests étaient du genre "pour laver votre linge, quel était le
meilleur produit, le produit X, le leur, ou le produit Y, le concurrent ? Je
n'étais pas suffisamment vicieux pour répondre Y et il me fallait ce portable.
La dernière question, la plus difficile me prévint l'hôtesse à la belle voix,
était : quand a eu lieu la première guerre mondiale, en 1914, avant ou après
Jésus-Christ ? J'ai bien pris mon temps avant de répondre "après" ! "Bravo
Monsieur ! vous venez de gagner le gros lot."
Pour récupérer mon cadeau, il fallait venir ce samedi après-midi à une
adresse au Twin-Center. A l'heure convenue, j'étais devant l'adresse indiquée.
Evidemment, je n'étais pas seul, on était une dizaine de super-cracks, heureux
gagnants du concours. Je pense que notre intelligence s'est manifestée surtout
dans la rapidité de composition du numéro de téléphone indiqué dans l'annonce du
journal. A la réception, il y avait une belle hôtesse dont j'ai cru reconnaître
la voix : celle que j'ai eue au téléphone. Pour une fois, une belle voix
correspondait à un beau visage avec le même large sourire que l'on "entendait"
au téléphone. On est souvent déçu par les animatrices de radio qui passent à la
télévision.
Quand ce fût mon tour, on m'offrit le téléphone promis qui portait le logo de
la société organisatrice du jeu, muni de sa carte SIM pré-chargée avec 900
dirhams de communication. Il fallait porter le téléphone portable autour de son
cou avec une petit ceinturon en cuir attaché au téléphone. De plus, on m'offrait
une boite de cinq kilos de lessive et on me demandait d'aller chercher mon
cadeau surprise dans un bureau au cinquième étage. Dès que je sortis de leur
local, je commençai par ôter le téléphone de mon cou, le fourrais dans ma poche
et me promis d'aller illico presto à Derb Ghallef pour lui acheter, à 20
dirhams, un autre étui et jeter la carcasse qui porte le logo de la société. Je
me suis débarrassé de la lessive, qui me paraissait peser plus de cinq kilo, à
la prochaine poubelle et je me suis dit que je n'avais pas besoin de leur cadeau
surprise. Cela devrait être un cadeau du même acabit que cette lessive
encombrante. Ce qui m'intéressait c'était le téléphone portable et il était dans
ma poche. De plus j'étouffais dans cet endroit, il fallait que je sorte à l'air
libre.
La surprise
Soudain, à ma grande surprise, à peine cinq minutes après l'avoir reçu, le
téléphone sonna dans ma poche. Pourtant je n'avais encore donné mon numéro à
personne ! A contrecoeur, je sortis le téléphone de ma poche et me mis dans un
coin pour ne pas ressembler à ces imbéciles qui téléphonent au milieu des
passants. "Allô ?" dis-je d'une voix timide. Ma stupeur s'évapora quand
j'entendis la voix de l'hôtesse que je connais bien maintenant. De deux choses
l'une, soit elle voulait me rappeler d'aller chercher mon cadeau surprise soit
elle comptait encore me féliciter et me vanter les produits de leur société.
J'étais sur le point de lui couper la parole pour l'inviter à venir boire un
verre avec moi. Surprendre une femme ou la faire rire est souvent une bonne
stratégie d'approche d'une fille d'Eve. Je me préparai à formuler une tirade du
genre "Ecoutez mademoiselle, tous les produits que propose votre société ne
m'intéressent point. Par contre vous, votre voix résonne au plus profond de mon
âme et votre visage me laisse sans voix. Accepteriez-vous que l'on prenne un
verre ensemble tout à l'heure ..."
Je n'avais pas encore terminé la phrase dans ma tête quand je fus glacé
d'effroi par les paroles prononcées par cette voix devenue froide et implacable.La prison
Vingt ans plus tard, au fond de ma cellule, j'entends encore ces mots à
jamais gravés dans ma mémoire comme si je les ai entendu à peine cinq minute
avant. "Monsieur, nous vous remercions pour votre collaboration. En répondant à
cet appel, vous venez de déclencher la bombe que vous portez entre vos mains."
Un instant plus tard, je perdis conscience, je n'avais aucune idée de ce qui
s'était passé. J'ouvris les yeux dans une chambre d'hôpital ne sentant plus ni
mes jambes ni mes bras. Un bandage me couvrait la majeure partie de mon visage
mais je pouvais articuler quelques mots. Un homme avec une veste sombre et
crasseuse, une cravate mal nouée et des moustaches staliniennes était à mon
chevet. Il me lança "Je suis l'inspecteur Saad El Ouatassi de la PJ de Maarif.
Vous êtes bien Monsieur Kidder Benmakhlouf ? "Oui!" fis-je. "Des témoins vous
ont vu jeter un paquet dans une poubelle. Il s'est avéré que c'était l'une des
dix bombes ayant détruit le Twin-Center. Vous êtes le seul kamikaze survivant,
les autres ont péri dans l'explosion des bombes qu'ils portaient. Vous êtes
poursuivi pour association de malfaiteurs, meurtre avec préméditation,
destruction de biens d'autrui et participation à une entreprise terroriste."
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